Rencontre avec les femmes Chin au Myanmar

Rencontre avec les femmes Chin au Myanmar

Premier jour à Mindat

Nous arrivons tard le soir dans notre guesthouse, après 11h de bus. Très sympathique et accueillante, la Sé Nang Family est un endroit propre et bien entretenu. Fatigués du voyage, nous passons rapidement dans l’unique restaurant du village encore ouvert puis filons nous reposer.

Le lendemain matin, nous partons explorer le village. Les gens que nous croisons paraissent curieux de nous voir et nous dévisagent. Les enfants sont fiers de nous lancer quelques « hello » ou « bye-bye » qui apparemment veulent dire la même chose pour eux, les seuls mots qu’ils connaissent en anglais. Globalement, les birmans ne parlent pas anglais. Il est donc assez difficile d’échanger, que ce soit dans les hôtels, dans les grandes villes ou dans les commerces. Il faut, par exemple, montrer le bas de son ventre si l’on veut aller aux toilettes !

Nous avons également rencontré notre contact sur place. Un médecin, qui doit avoir à peine trente ans, se présente à nous dans un très bon anglais. Nous sommes rassurés quant au déroulement du projet. Nous lui en parlons en détail, avec nos aspirations et besoins. Deux guides sont nécessaires afin de pouvoir nous transporter avec tout notre matériel ; là-bas, pas de voiture, tout se fait en motorbike, les sentiers ne permettant pas aux gros véhicules de circuler. Nous passerons trois nuits dans différents villages afin de pouvoir photographier différents styles de tatouages faciaux.

Notre ami médecin devant retourner travailler, nous repartons explorer Mindat. Tout en haut, se trouve une stuppa devant laquelle nous allons filmer notre deuxième vidéo, afin que nos amis présents sur les réseaux sociaux puissent suivre notre aventure au fur et à mesure. Le vent se met à souffler et la pluie à tomber. Après quelques fous rires, quelques grimaces et plusieurs prises de vues, nous sommes partis nous réfugier dans ce qui allait devenir notre QG, l’unique restaurant du village, le Gold Mother. Un café, quelques tests pour comprendre le fonctionnement de l’Osmo, une technologie conçue pour garantir la stabilité des images filmées en toutes circonstances sans tremblement et sans flou, et un rayon de soleil traverse le ciel. Dehors, celui-ci était passé de gris et pluvieux à doré et chaleureux. A travers les nuages, les rayons de soleil illuminaient les montagnes, le village et son église. Derrière nous, un magnifique arc-en-ciel se détachait du ciel noir. Le temps s’était calmé, le soleil sur le point de se coucher ; la lumière étant magnifique, nous sommes partis à la recherche d’un lieu propice à la capture de ce paysage électrique.

Nous nous sommes arrêtés sur la route, devant une petite maison. Audrey, préférant une vue dégagée de tout câble électrique, a tenté de gravir quelques rochers afin de prendre de la hauteur. Tenté, car elle a redescendu assez rapidement ce qu’elle avait escaladé sur le ventre. Les deux enfants qui observaient la scène se sont mis à rire. La grande soeur s’est empressée de mettre sa main sur la bouche de son petit frère afin qu’Audrey ne les entende pas se moquer. Au final, nous nous sommes tous mis à rire de bon coeur. J’ai entamé la discussion avec le jeune homme qui vivait dans cette maison ; cinq minutes d’échanges et nous nous sommes retrouvés assis dans leur pièce à vivre, un café à la main. Nous apprenons que cette maison appartient à son beau-frère. Huit personnes vivent ici, parents, enfants et petits-enfants. Nous leur montrons les photos prises de leur village, depuis nos appareils et depuis le drone. Ils regardèrent avec intérêt puis nous demandèrent de quelle village s’agissait-il ! Après presque deux heures passées en leur compagnie, nous devons rentrer. Le jeune homme insiste pour nous raccompagner, après quelques indications de chemin par son beau-frère. Il est incroyable de se dire que ces gens qui vivent là depuis toujours, ne connaissent pas vraiment leur village.

Nous finissons la journée par un dîner au Gold Mother et la préparation de nos affaires pour le départ du lendemain.

Deuxième jour à Tuili

Ce matin, nous nous sommes levés à 7h00, afin d’avoir le temps de manger un peu et de prendre une douche avant le départ pour les montagnes. Notre guide « One » et son ami étaient devant notre guesthouse, ponctuels. Nous avons chargé les deux motorbikes avec le sac de voyage contenant nos affaires personnelles, la valise du flash de studio, le sac photo, le sac du drone, et nous 4. Ambitieux, mais pas infaisable, d’autant que le périple ne devait commencer qu’avec une étape à 3h de route.

Nous avons mis au total plus de 6h00 pour arriver à notre première destination. 6H00 de montées et de descentes sur des chemins parfois aussi larges que nous. D’un côté les falaises montantes, de l’autre, les précipices ; des virages en épingles, des rivières à traverser, le tout jonché de cailloux plus ou moins gros faisant régulièrement glisser nos véhicules. La route était très éprouvante physiquement, peu de place, sans arrêt crispés et alertes, un voyage peu reposant physiquement.

Arrivés à Tuili (le nom nous a été donné phonétiquement), au sommet d’une montagne, nous posons nos affaires dans la maison du chef du village. La première femme tatouée que nous devions rencontrer n’est pas là. Nos hôtes nous demandent de patienter jusqu’à son retour. Avec Audrey, épuisés nous nous allongeons un peu sur le palier de maison. Une heure plus tard, nous décidons de faire un tour dans le village et entendons nos guides nous appeler ; nous montons quelques mètres et arrivons sur un plateau sur lequel étaient entreposés un énorme tas de briques, des bidons d’eau, des sacs de ciment ; tous les villageois, hommes, femmes, enfants, construisaient l’école du village. Ils sont curieux de nous voir mais pas longtemps. Ils ont du travail.

Au bout de 3h00 à les regarder travailler, car finalement, nous n’avions absolument rien d’autre à faire, One nous indique qu’il est maintenant trop tard pour shooter. La dame est revenue, mais il est l’heure pour elle de s’affairer dans la cuisine. La nuit va bientôt tomber et il nous propose de redescendre dans un village croisé auparavant sur la route car ce soir, une fête traditionnelle à lieu. Nous sommes d’accord, mais appréhendons la route, car nous savons que le village est à 1h30 / 2h00 de route. Nos corps nous font déjà souffrir et nous devons remonter sur les motorbikes.

Arrivés dans le village, meurtris et ravis de descendre de nos bolides, nous nous transformons en attraction. Il est fort à parier que nous sommes dans les premiers « blancs » qu’ils rencontrent ici. Les plus agés viennent nous serrer la main avec fierté. Les adolescents restent timidement à distance, et se poussent les uns les autres ; ils ont l’air de faire des paris sur lequel oserait venir à nous. Les femmes et les enfants sont un peu plus loin, ne nous quittent pas des yeux, curieux et timides.

La soirée commence ; au début, ne nous sentant pas vraiment à notre place, nous nous mettons dans un coin afin d’observer à notre tour ce peuple dont nous ignorons tout. Quelques hommes viennent nous offrir le vin local, du vin de palme, servi dans une corne de bovin. Finalement, ces gens nous mettent à l’honneur et nous reçoivent comme des gens importants. Les cornes ne sont en effet réservées qu’aux grands de leur monde. En observant autour de nous, nous voyons que les villageois boivent, quant à eux, dans des verres en plastiques.

Change Face, les femmes Chin - Myanmar
Change Face, les femmes Chin - Myanmar
Change Face, les femmes Chin - Myanmar

Place à la danse. Les uns derrière les autres, une tige d’arbre dans la main, ils tournent autour d’un autel fabriqué en bambou et en tiges d’arbres. Un dos de casserole frappé avec une tige métallique (probablement une cuiller), des percussions s’approchant du Madal Népalais constituent leurs seuls instruments de musique. Les hommes sont vêtus de leurs vêtements traditionnels, parfois par dessus leur joggings, coiffés de plumes d’aigles. Ils nous invitent à entrer dans le cercle, nous remplissent nos cornes malgré nos refus ; il faut dire que nous n’avons pas mangé depuis 7h00, la nuit est tombée et l’alcool de palme est plutôt corsé. Nous nous prêtons quand même au jeu et entrons dans l’ambiance. Oubliées nos douleurs, oubliée notre faim, oubliée notre fatigue, nous nous amusons avec eux, et plutôt deux fois qu’une !

Soudainement, les hommes nous invitent à entrer dans une maison, nous demandent de nous installer par terre, seuls, au milieu d’une pièce sans mobilier. Au fur et à mesure, les villageois nous rejoignent. Les femmes et les enfants, assises dans un coin de la pièce. Les hommes debouts, autour de nous. Face à la situation un peu gênante d’être au centre de leurs intérêts, nous nous reculons un peu contre un mur ; quelques échanges de regards amusés, curieux ; l’alcool aidant, chacun essaie de communiquer même si nous savons tous que personne ne se comprend. Je décide de sortir l’appareil photo et le trepied. Contre toute attente, ils se mettent à poser. A plusieurs ou bien chacun leur tour, ils se rhabillent, se recoiffent, époussettent leurs habits traditionnels, s’apprêtent de leurs plus beaux bijoux. Nous avons même les femmes tatouées parmi nous. Elles, pour qui les tatouages représentent plutôt un fardeau et semblent honteuses de leur apparence (cf. mon interview sur l’origine de ces tatouages), se placent face à l’objectif, debout ou assises, mais fières.

Puis, c’est notre tour ! Les hommes viennent me chercher pour me donner quelques éléments de leurs costumes. Ils veulent que je pose avec eux. Audrey se place derrière l’objectif afin d’immortaliser ce moment magique d’échanges spontanés et bienveillants. A son tour, une femme lui prête quelques bijoux, c’est notre guide qui finira photographe d’un soir !

Quelques heures plus tard, nous osons enfin demander s’il est possible de manger quelque chose. Nous sommes affamés, fatigués, un peu saouls. Nous passons dans une autre pièce dans laquelle arrivent des tables basses, rondes et quelques tabourets (ceux que nous appelons chez nous « bancs de méditation »). De grands bols de riz, de sauce, de foie viennent à nous. Nous nous empressons de manger, heureux de pouvoir éponger le vin de palme.

Un jeune homme se place à côté d’Audrey. Il semble se débrouiller en anglais et entame ce qui va devenir une longue et grande conversation avec elle. Les deux ont l’air intéressés et passionnés par ce qu’ils se disent. Les adolescents, garçons et filles se placent en face d’eux, fascinés sûrement par le fait qu’ils se comprennent. Leurs yeux ne les quittent plus, leurs sourires non plus ; ils sont comme subjugués par cet échange improbable.

Il est temps d’aller dormir un peu. Ici, pas de grasse matinée, déjà parce que nous avons du travail, mais surtout parce que les premiers coqs se mettent à chanter dès 4h00 du matin ! Nous nous installons dans une autre maison et dormirons avec nos guides, à même le sol. La technique pour ceux qui trouvent le bois trop dur, c’est de plier en deux ou en quatre les grosses couvertures qu’ils nous prêtent pour la nuit.

Troisième jour à Tilhili

Nous nous sommes levés ce matin de bonne heure ; sans surprise les coqs étaient au rendez-vous. One nous demande ce que nous souhaitons faire ; shooter évidemment ! Il se met à la recherche de femmes souhaitant coopérer et nous aider dans notre projet. Plus en confiance après ce que nous avions vécu la veille, lors de la célébration, elles arrivent devant nous, attendant les instructions.

Il n’a pas été forcément évident d’expliquer à notre guide ce que nous attendions d’elles, et One avait à priori des difficultés à leur faire comprendre les positionnements attendus. Au moins, cela les aura fait rire et nous avec. Tout l’équipement était dehors, Audrey avec l’osmo qui filmait depuis son téléphone ou le mien ; moi-même avec mon appareil, le flash studio ; un large public d’enfants amusés et curieux de voir ce spectacle évoluait derrière nous.

Change Face, les femmes Chin - Myanmar

Le shooting terminé, nous rangeons toutes nos affaires, saluons chaleureusement nos hôtes et partons vers le village suivant. La qualité de la route, longue et sinueuse, pentue et escarpée, nous rappelle à quel point notre corps était devenu douloureux. Il nous faut tenir encore aujourd’hui, puis demain ; nous essayons de nous concentrer uniquement sur l’instant présent pour mieux relativiser et moins souffrir. Sur le chemin, nous croisons un menuisier transformant le tronc des arbres environnants en planches de bois. J’ai eu un flash (c’est le cas de le dire) à ce moment. Je n’étais pas sûr de la durée de vie de la batterie de mon flash et j’en ai profité pour faire une halte d’une heure afin de pouvoir le charger sur le générateur de cet homme. Mes trois compères se sont allongés dans l’herbe sur le bord du chemin pour faire une sieste. Moi, le flash à la main, l’ouïe maltraitée par le bruit de la scie sauteuse du menuisier, je me tenais debout à ses côtés afin de suivre ses mouvements allant d’un bout de planche à l’autre, mon flash étant branché à son chargeur qu’il devait porter avec lui par manque de longueur de câble !

Au bout de 2h00 supplémentaire de motorbike, nous arrivons dans un village un peu plus grand que le précédent. Nous apercevons même une « épicerie » vers laquelle nous courrons acheter quelques victuailles très « occidentales ». Après avoir déposé nos affaires dans la maison du chef de village, je décide de sortir le drone. Les enfants sont impressionnés, la plupart des adultes aussi. Ils sont entre la curiosité, l’envie de voir de plus prêt, et la crainte de cet objet inconnu qui lorsqu’il s’envole fait un bruit fort et particulier et pas mal de vent. A mesure que le drone se rapproche et s’éloigne du sol, les villageois s’approchent ou s’éloignent de lui. C’est un ballet amusant à observer de l’extérieur.

Ce soir, nous nous couchons tôt. Un bol de riz, de la soupe de poisson et nous nous installons dans la pièce principale de la maison avec nos sacs de couchage. Nos guides ont l’air de vouloir également se reposer, sauf que les villageois préfèrent faire la conversation. Une dizaine de personnes se retrouve assis par terre en face de nous à dialoguer avec One. Ce n’est pas pour cette nuit le grand repos !

État Chin - Myanmar ( Birmanie)

Quatrième jour à Tilhili / retour à Mindat

Nous nous levons ce matin avec, pour ne pas changer, le chant des coqs. Il doit y en avoir une centaine dans ce village ! Nous nous réveillons doucement, rangeons nos affaires, faisons une toilette de chat quand notre guide nous propose de shooter, dans 5 / 10 minutes. Lui aussi à l’air d’être pressé de redescendre chez lui. Tous les enfants du village sont présents pour observer la scène mais aucun ne se laisse prendre en photo. Je joue quelques minutes avec eux, essayant de les surprendre quand ils ne s’y attendent pas, mais ils sont rapides et j’ai du mal à obtenir leur portrait !

Nous demandons à One pourquoi toutes les personnes que nous avons rencontré jusque-là fuient-elles l’objectif. D’après lui, c’est seulement une question de timidité. Mais il nous parle également du passage des premiers « blancs » désireux de prendre des photographies dans ce village. Il s’agirait d’Allemands leur ayant promis de l’argent contre quelques clichés, et qui seraient partis sans rien donner. Ces populations basent leurs croyances sur l’honnêteté et cette expérience les aurait rendu méfiants.

Le travail terminé, les affaires rangées, les adieux faits, nous montons à reculons sur les motorbikes. Aujourd’hui nous retournons à Mindat. Nous avons peur de demander combien de temps cela mettra-t-il, si nous prenons le même chemin qu’à l’aller ou bien s’il existe un raccourci. Mieux vaut ne pas savoir me dit Audrey ; ce qui me pousse à demander. Un autre chemin sera emprunté, 6h00 de trajet prévues. Nous passerons par le village de l’oncle de One, afin de se restaurer.

État Chin - Myanmar ( Birmanie)

C’est un vieil homme qui nous accueille. Il a l’air vraiment heureux de nous voir, nous serre chaleureusement la main puis nous invite dans sa maison. Lui et sa femme nous servent… du vin de palme. Il nous parle, montre certains objets qui parcourent la pièce, les bijoux d’Audrey puis l’appareil photo. De ce que nous comprenons, il souhaite qu’on le prenne en photo, seul, avec moi, avec Audrey, avec sa femme… et je suis ravi de le faire. Nous trouvons ici de l’intérêt, de la curiosité, un besoin d’échange et beaucoup de sourires ; pas de méfiance, pas de timidité ; ils ont l’air de nous faire confiance et cela nous fait beaucoup de bien. Ils nous offrent également le meilleur repas que l’on ait eu jusque-là. Ces personnes et cette histoire ne nous laissent pas indifférents, Audrey et moi échangeons aussitôt notre bonheur de vivre cet instant, et la tristesse de devoir le quitter.

Une fois dehors le vieil homme nous serre la main et nous fait comprendre que nous serons toujours les bienvenus ici. Parfois, même si nous ne parlons pas le même langage, il est possible de s’entendre. Certains regards et gestes en disent plus long et sont bien plus sincères.

De retour à Mindat, avec un avis partagé sur ces trois jours passés dans les montagnes (cf. mon interview vidéo), nous nous hâtons vers le Gold Mother puis vers nos chambres. Une douche bien chaude, un lit douillet et nous nous rendons compte que le confort est un luxe dont il est difficile de se passer à long terme.

Texte : Audrey HELSTROFFER – Photos : Audrey HELSTROFFER & Julien GERARD

Julien GERARD

Tél France / WhatsApp : +33 (0)6 68 65 14 13

juliengerard@editionsmiwa.com

 

All Art Collector
Udensi Uguru EKEOMA
Agent d’artistes – Afrique francophone et anglophone

Tél Nigeria : +234 70 56 56 88 32

www.allartcollector.com

Email : info@allartcollector.com


Livre "SOUFFLE, le Bénin vu du ciel"

« Le Bénin, c’est un secret à découvrir,
le Bénin, c’est un secret à partager,
le Bénin, c’est un secret à révéler. »
José PLIYA

45,00 €